<<< Partie 5

La deuxième partie du livre L’esprit de l’athéisme tente de répondre à la question « Dieu existe-t-il » ? C’est un vrai plaisir de voir André Comte-Sponville engager la question sérieusement, en offrant des arguments clairs, avec lesquels le penseur chrétien peut donc interagir intellectuellement et rigoureusement. Pour répondre « non » à cette question, André Comte-Sponville nous offre ainsi pas moins de 6 raisons :

1-La faiblesse des arguments théistes

2-La faiblesse des expériences de Dieu

3-L’incompréhensibilité de Dieu

4-Le problème du mal

5-La médiocrité de l’homme

6-Le désir humain suspect envers l’existence de Dieu

Nous allons y répondre dans l’ordre, en commençant donc par son traitement des arguments théistes et leur soi-disant faiblesse, mais avant de nous lancer dans une revue de ces arguments, j’aimerais faire quelques remarques préliminaires sur la nature d’un tel débat, et là encore je me retrouve à féliciter Comte-Sponville qui se distingue très positivement, méritant mon respect lorsqu’il affirme 3 choses importantes : 1- il reconnaît qu’il existe des arguments théistes méritant une réponse, 2- il reconnaît que le mal causé par les religions est impertinent, et 3-il reconnaît qu’au delà des arguments, il a aussi des raisons non rationnelles de ne pas croire, bien qu’elles ne soient pas pertinentes dans un livre de philosophie. Quelle sobriété !

En page 85, lorsqu’il se tourne vers les arguments en faveur de l’existence de Dieu, il note bien : « Ils pourraient être fort nombreux : vingt-cinq siècles de philosophie ont accumulé, pour les deux camps, un argumentaire à peu près inépuisable ». Oui ! Alors évidemment, au final, Comte-Sponville trouve que les arguments théistes classiques ne sont pas convaincants, mais au moins il ne les ignore pas, et dans le monde francophone, c’est assez rare ; alors je lui tire mon chapeau.

Il affirme ensuite à bon escient (p.85-86) que tout le mal commis par les croyants est impertinent :

« Je laisse de côté, délibérément, tout ce qu’on peut reprocher aux religions ou aux Églises, certes toujours imparfaites, certes détestables souvent, criminelles parfois, mais dont les errements ne touchent pas au vif de la question. L’inquisition ou le terrorisme islamiste, pour ne prendre que deux exemples, illustrent clairement la dangerosité des religions, mais ne disent rien sur l’existence de Dieu ». Oui Monsieur. Nous sommes entièrement d’accord. Il conclut (p.86) : « que toutes [les religions] aient du sang sur les mains, cela pourrait rendre misanthrope, mais ne saurait suffire à justifier l’athéisme, lequel, historiquement, ne fut pas non plus sans reproches, spécialement au XXe siècle, ni sans crimes. » Exactement : le mal commis par les athées n’est pas plus pertinent que celui commis par les croyants, l’existence ou l’inexistence de Dieu doit se régler sur un autre terrain, celui de la raison.

Mais, et c’est encore une excellente remarque de Comte-Sponville, il y a aussi des motivations non-rationnelles pour croire ou ne pas croire. Elles sont importantes aussi, et tout penseur honnête doit les reconnaître, ce que Comte-Sponville faisait dans cette citation déjà rapportée dans une partie précédente : « Pourquoi ne crois-je pas en Dieu ? Pour de multiples raisons, dont toutes ne sont pas rationnelles … S’agissant ici d’un livre de philosophie, et non d’une autobiographie, on m’excusera de m’en tenir aux arguments rationnels » Absolument.

Ayant félicité Comte-Sponville sur tous ces points importants, je note quand même un ou deux éléments critiquables. Lorsqu’il se tourne vers les arguments en faveur de l’existence de Dieu, il sous-estime leur importance. Il parle (p.87) des « prétendues « preuves » de l’existence de Dieu ». Pourquoi le dédain ? On les accepte ou pas, mais ce sont des arguments philosophiques importants et respectables, discutés de manière sérieuse dans les journaux professionnels philosophiques. A leur sujet, il annonce bizarrement : « je ne veux pas m’y attarder ». Pourquoi ? C’est la partie la plus importante pour un philosophe. C’est comme si un historien ne s’attardait pas sur les preuves historiques, si un poète ne s’attardait pas sur les vers, ou si un chef ne s’attardait pas sur les recettes. C’est le cœur du métier ! Il justifie ce choix en annonçant : « il y a bien longtemps que les philosophes, même croyants, ont renoncé à prouver Dieu ». Ah ? Personnellement, je n’ai pas entendu sonner le clairon de la retraite. Au contraire, les arguments philosophiques en faveur de l’existence de Dieu sont passionnément défendus aujourd’hui plus que jamais, particulièrement dans la littérature anglo-saxonne, par des pointures comme Alvin Plantinga, William Lane Craig, Richard Swinburne, et des centaines d’autres avec eux. Par ailleurs, c’est une voie à deux sens : les arguments athées d’André Comte-Sponville ne peuvent pas être rejetés sous prétexte que les philosophes athées auraient renoncé à « prouver » que Dieu n’existe pas. D’un côté comme de l’autre, il faut évaluer les arguments philosophiques, un point c’est tout.

Enfin, il faut remarquer que la soi-disant « faiblesse des arguments théistes » n’est, logiquement, pas suffisante pour établir l’athéisme. Même si tous mes arguments en faveur de l’existence de Dieu s’avéraient être pathétiquement invalides, il ne s’ensuivrait pas un instant que Dieu n’existe pas. Tout ce que ça montrerait, c’est que je suis un piètre défendeur de ma foi, mais cela ne dirait rien au sujet de Dieu. L’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence, et donc même s’ils étaient faibles, l’échec de ces arguments ne serait pas une bonne raison d’adopter l’athéisme. Mais en fait, comme je maintiens qu’au contraire ces arguments sont excellents, cela nous donne une occasion de les défendre contre la critique d’André Comte-Sponville, et donc de constater qu’il existe de solides raisons logiques de croire que Dieu existe.

Je note cependant que tous les arguments théistes ne sont pas un succès. Par exemple, en pages 100-101, Comte-Sponville critique un argument attribué à Descartes (est-ce une version de l’argument ontologique ?), qui m’a l’air en effet plus que douteux : « Je trouve en moi l’idée de Dieu, comme Être infini et parfait ; cette idée, comme toute chose, doit avoir une cause ; et comme « il doit y avoir au moins autant de réalité dans la cause que dans son effet », cette cause doit être elle même infinie et parfaite : ce ne peut être que Dieu ».

Je suis d’accord que ce n’est pas un bon argument. L’idée de Dieu dans sa tête pourrait être fausse, et s’expliquer par le simple fait qu’il soit confus, sans que Dieu soit la cause de son idée. Je n’achète donc pas cet argument. Mais d’autres sont tout à fait solides : nous avons déjà vu l’argument moral ci dessus, il y a aussi l’argument cosmologique, l’argument physico-théologique (parfois appelé téléologique, c’est à dire l’argument du dessein), l’argument ontologique, tous ceux ci méritent d’être évalués, je les défends moi même, et il se trouve que Comte-Sponville interagit avec tous ceux là, donc nous avons un bon désaccord à régler par les arguments. Passons les en revue un par un en suivant l’ordre choisi par Comte-Sponville, qui commence par « l’argument ontologique », que nous traiterons dans la partie suivante.

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