Un des sujets de controverse régulière dans le débat portant sur les “méthodologies” d’apologétique concerne l’affirmation, faite principalement (mais pas exclusivement) par les apologètes dits ‘présuppositionnels’, que les athées croient en fait en Dieu, et même savent que Dieu existe, mais refoulent cette croyance par malice. L’affirmation se veut proche de ce que dit Paul au sujet des non-croyants païens en Romains chapitre 1:

La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la vérité captive,

19 car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître.

20 En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’oeil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables,

21 puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur coeur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres.

Etant donné que l’affirmation semble plutôt biblique, il est aisé de se demander pourquoi il s’agirait d’un sujet de controverse, même entre Chrétiens. Mais la controverse touche également les athées, qui habituellement trouvent assez insultant le fait de se voir dire qu’ils croient en Dieu, alors qu’ils vous affirment clairement que ce n’est pas le cas. Leur sentiment est bien compréhensible, alors qu’en est il?

La difficulté est la suivante: par définition, un athée est ‘une personne qui croit que Dieu n’existe pas’ (si, comme moi, vous employez la définition standard que l’on trouve dans la littérature), ou ‘une personne dépourvue d’une croyance en l’existence de Dieu’ (si vous adoptez la définition révisionniste que l’internet nous force de plus en plus à tolérer). Mais quelle que soit la définition que l’on adopte, il reste qu’un athée ne croit pas la proposition ‘Dieu existe’; autrement, cela ferait de lui… un théiste! (ou du moins un déiste).

La question se pose alors: comment peut-on dire qu’un athée, qui ne croit pas que Dieu existe, en vérité sait que Dieu existe? Il existe in principe assez simple d’épistémologie (la science de comment l’on sait ce que l’on sait), qui dit que le savoir requière au moins une croyance véridique. A vrai dire, le savoir requiert bien plus qu’une croyance véridique, parce qu’une croyance véridique pourrait s’avérer n’être qu’un coup de chance, et non pas une instance de savoir, mais quoique demande le savoir en plus d’une croyance véridique, il demande au moins une croyance véridique.

Illustrons ces deux conditions simples: dans le cas d’un savoir, la proposition sue doit être vraie: peu importe si je suis parfaitement convaincu que la lune est habitée par des extra-terrestres, je ne peux pas savoir que c’est le cas, si cette proposition se trouve être fausse. De même, dans le cas d’un savoir, la proposition sue doit être crue: en effet, même si cela est vrai, je ne peux pas savoir que je suis né en France, si je ne crois pas être né en France.

Mais donc cela veut dire que le savoir implique une croyance, et donc dans ce sens, une personne qui ne croit pas que Dieu existe ne peut pas savoir que Dieu existe. Tout cela est bien convainquant. Alors pour répondre en toute clarté, permettez moi d’insérer ici une notion un peu différente, touchant à mon domaine d’étude doctorale: la question de la responsabilité morale. Ce sujet pose la question de savoir si des personnes sont responsables moralement, c’est à dire dignes d’éloge ou de blâme, pour leurs actions, et demande s’il existe des circonstances dans lesquelles la responsabilité morale serait annulée. Par exemple, si je mens librement pour avancer ma carrière, je suis a priori coupable, digne de blâme pour mon mensonge; mais il existe des circonstances dans lesquelles je pourrais être excusé pour énoncer ces mêmes propos mensongers. La coercion est une de ces circonstances: si ma fausse confession était obtenue par la torture, je ne pourrais pas être tenu responsable et digne de blâme pour ‘mentir’. Vous saisissez le concept.

Ainsi, dans ce domaine également, un bon nombre de controverses apparaissent, mais il y a une condition pour la responsabilité morale qui ne devrait pas être trop controversée, et qui se trouve être particulièrement intéressante pour notre présente question concernant les athées. Elle s’énonce comme suit: Pour qu’une personne soit responsable moralement pour faire quelque chose de mal, il est nécessaire que cette personne sache que ce qu’elle fait est mal. Par exemple, si je verse du poison dans le café de ma femme parce que quelqu’un a collé une étiquette de sucre sur un pot de poison, je ne suis pas moralement responsable pour avoir tué ma femme, bien que je sois assurément la personne qui l’ait tuée: j’ai versé du poison dans son café! Alors pourquoi ne suis-je pas coupable? Parce que je ne savais pas que ce que je faisais était mal. Ce critère peut également être appliqué à certains cas dans lesquels une maladie mentale exclut la responsabilité morale, pour des actions qui serait autrement coupables, si elles étaient accomplies par des personnes en possession de toutes leurs facultés. Une personne sévèrement autiste qui blesse son donneur de soin lors d’une crise de violence peut (au moins dans certains cas non-discutables), être excusée, et déclarée non-responsable, en vertu du fait qu’elle ne savait pas que ce qu’elle faisait était mal. Tout cela semble assez raisonnable.

Mais voila le souci. Prenez ce critère, et appliquez le à une autre situation, celle d’Adolf Hitler, et posez la question de savoir s’il était moralement responsable pour avoir organisé la mort de millions de Juifs et de Tsiganes. Etait-il coupable moralement? Je pense que la réponse est évidente: oui. Mais posons maintenant notre question au sujet d’Hitler: ‘Hitler savait il qu’il est mal de tuer des Juifs et des Tsiganes?’ Dans un sens certainement, et dans un autre sens, évidemment pas. Je m’explique.

Hitler croyait-il que tuer des Juifs et des Tsiganes est mal? Evidemment pas; il pensait même que c’était la meilleure chose à faire pour le monde! Mais si, comme établit ci-dessus, on ne peut pas savoir une proposition sans avoir une croyance en cette proposition, alors il s’ensuivrait qu’Hitler n’avait pas le savoir qu’il est mal de tuer des Juifs et des Tsiganes. Sommes nous alors dans la position particulièrement pénible d’avoir à admettre que: ‘Hitler n’était pas moralement responsable pour avoir tué des Juifs et des Tsiganes parce qu’il ne savait simplement pas que ce qu’il faisait était mal’? Cette conclusion ne peut surement pas être correcte non-plus. Alors que dire?

Je pense que ce qu’il nous faut conclure est que notre critère pour le savoir et notre critère pour la responsabilité morale sont tous deux essentiellement correctes, mais ils doivent laisser la place à un certain sens du savoir dans lequel une personne peut savoir que quelque chose est vrai, tout en professant (même honnêtement) une non-croyance à ce sujet. Dans ce sens, Hitler savait qu’il est mal de tuer des Juifs et des Tsiganes, car ce fait moral est rendu évident à tous par la lumière de la conscience humaine, mais il a refoulé ce savoir–un refoulement coupable, par ailleurs, et un refoulement qui l’amena à professer une non-croyance en cette proposition, tout en étant une cible appropriée de blâme moral, basé sur le fait que dans un autre sens bien réel, il savait ce qu’il professait même ne pas croire.

Lorsque l’on applique ces concepts à la croyance en Dieu, nous sommes maintenant équipés pour exprimer les deux sens distincts dans lesquels les Chrétiens peuvent affirmer de manière cohérente que les athées savent et ne savent pas que Dieu existe. Ils ne le savent pas, dans le sens où il n’ont pas de croyance consciente en l’existence de Dieu et donc l’absence de savoir s’ensuit de leur manque de croyance, mais il y a aussi un autre sens dans lequel les Chrétiens affirment que l’existence de Dieu est rendue évidente à tous par sa création, et que donc quiconque la rejette est coupable de refouler une vérité qu’il ‘sait’, tout en professant (sincèrement) ne pas la croire.

De tout cela, deux conclusion ne s’ensuivent pas.

Premièrement, il ne s’ensuit pas que l’apologétique présuppositionelle est correcte et que l’apologétique classique ne l’est pas. C’est tout bonnement une autre question, sur laquelle toutes mes pensées se trouvent dans cet autre article.

Et deuxièmement, il ne s’ensuit pas que les Chrétiens doivent dire aux athées que ces derniers croient en fait en Dieu. Personnellement, je trouve douteux qu’il soit sage de le faire dans la plupart des circonstances.

Mais en vérité, ce qui s’ensuit logiquement, c’est qu’il est cohérent pour les Chrétiens de maintenir leur conviction que dans un sens, le savoir de Dieu est inévitable à la lumière d’une révélation générale, une lumière que Paul nous dit se trouve être refoulée dans la non-croyance, jusqu’à ce que l’Esprit vienne, et fasse ‘briller la lumière dans nos coeurs, pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu, sur la face de Christ’. (2 Cor 4:6).