Même si l’argument athée traditionnel du « problème du mal » n’est pas plus développé par Michel Onfray que dans sa citation de deux phrases (ci-dessous), étant donné que c’est le seul argument athée offert dans tout le livre, il est bon d’offrir ici une réponse par nature trop brève, mais un peu plus longue que deux phrases. Pour mémoire, Onfray écrivait : « Les théistes ont fort à faire en termes de contorsions métaphysiques pour justifier le mal sur la planète tout en affirmant l’existence d’un Dieu à qui rien n’échappe ! Les déistes paraissent moins aveugles, les athées semblent plus lucides. »
Avant d’offrir mes réponses à cet argument, je me dois de noter que la littérature philosophique chrétienne à ce sujet est incroyablement abondante : arguments et contre-arguments se trouvent à foison. Michel Onfray ne fait pas qu’éviter tout ce matériel, il prétend et affirme qu’il n’existe pas ! Il nous dit en page 87 :
« La construction de leur religion, la connaissance des débats et des controverses, les invitations à réfléchir, analyser, critiquer, les confrontations d’informations contradictoires, les débats polémiques brillent par leur absence dans la communauté où triomphent plutôt le psittacisme et le recyclage des fables à l’aide d’une mécanique bien huilée qui répète mais n’innove pas, qui sollicite la mémoire et non l’intelligence. »
—Non.
Nulle ne peut lire le travail d’Alvin Plantinga, Peter van Inwagen ou William Lane Craig ou des dizaines (des centaines ?) de leurs semblables, ou assister à une conférence de l’Evangelical Philosophical Society, ou de la Society of Christian Philosophers, et proférer ces accusations : leur travail est rigoureux, volumineux, n’est vraisemblablement pas unique, et leur raison d’être est précisément de produire en masse ce qu’Onfray nous dit ne pas exister : des arguments, confrontations d’idées, invitations à réfléchir, et réfutations des contrarguments.
Cela dit, Michel Onfray n’est pas entièrement ignorant de tels écrits, car il mentionne en page 88 la tradition scholastique des « Jésuites ». L’ordre des Jésuites ayant été fondé pour réfuter la réforme protestante, le calviniste que je suis n’est pas particulièrement enthousiaste à l’idée de les défendre, mais que leur reproche Michel Onfray ? « rhétorique, sophistries théologiques, et pinaillages scholastiques. »
Il faut choisir : que font les chrétiens ? Ils ignorent grossièrement les arguments, ou ils pinaillent et finassent ad-nauseam ? Clairement ils ne peuvent pas faire les deux.
Essayons donc d’éviter ces deux crevasses, et tentons d’offrir une critique efficace, intelligente et valide du problème du mal pressé par Onfray.
Le problème du mal est un argument qui affirme qu’il est logiquement incohérent de penser que Dieu est à la fois omnipotent et parfaitement bon, alors qu’il y a tant de mal sur la terre. Il est affirmé que Dieu, s’il était parfaitement bon, voudrait nécessairement éliminer tout le mal ; et que s’il était omnipotent, il pourrait le faire. Mais de toute évidence il ne l’a pas fait, d’où le problème. Pour réfuter l’argument, il faut donc qu’un chrétien rejette au moins une de ses deux prémisses : soit l’omnipotence de Dieu ne requiert pas qu’il puisse obtenir absolument tout ce qu’il veut, soit sa bonté ne requiert pas qu’il cherche à éliminer absolument tout le mal. Sans grande surprise, les théologiens et philosophes chrétiens ont, dans la littérature abondante à ce sujet, offert et développé exactement ces deux réponses. La première est basée sur le libre arbitre humain, affirmant que si le libre arbitre est tel que Dieu ne puisse pas décréter unilatéralement l’issue des choix humains sans entraver leur responsabilité morale, alors il est impossible même pour un Dieu omnipotent de décréter que les hommes fassent librement ce qu’il souhaite. C’est la fameuse « défense du libre-arbitre ». Je suis moi même sceptique en vertu de ma vue particulière calviniste du libre-arbitre, mais dans la mesure où l’argument de Michel Onfray s’attaque au christianisme en général, le chrétien non-calviniste est en droit de demander pourquoi le libre-arbitre humain ne pourrait pas expliquer une grande quantité du mal sur la terre. Michel Onfray ne nous le dit pas.
La seconde réponse est selon moi dévastatrice. Elle affirme tout simplement que Dieu, même s’il est omnipotent et absolument bon, pourrait très bien avoir de bonnes raisons pour permettre le mal dans le monde. La cohérence de ce concept est démontrée à chaque fois que l’on souffre chez le dentiste ou que l’on laisse nos enfants faire des bêtises dans l’espoir qu’ils tirent les dures leçons de la vie : du bien peut sortir du mal. Et bien entendu, pour le chrétien, l’événement central de sa foi, la crucifixion de Jésus est exactement cela : un événement rempli de mal vicieux (le meurtre de Jésus), permis (et même prédestiné, selon la Bible en Actes 2 et 4) pour accomplir un objectif juste et bon : le salut des pécheurs. Je reviendrai sur cet enseignement chrétien central plus tard dans cette critique.
Alors évidemment, il ne nous est pas toujours donné de savoir quelles bonnes raisons Dieu a pour permettre le mal qui se produit—on le sait même rarement—mais soyons clair : de notre ignorance humaine de ces raisons suffisantes, il ne s’ensuit pas un instant que de telles raisons n’existent pas, et encore moins qu’il soit impossible qu’elles existent (ce que l’argument requiert).
En conclusion, ces deux réfutations des prémisses de l’argument du mal sont suffisantes pour l’invalider, et ne me semblent pas être les « contorsions métaphysiques » mentionnées par Michel Onfray, mais bel et bien une réfutation logique en bonne et due forme.
Je note aussi en passant que vis-à-vis de cette question, l’athée n’est pas « plus lucide » que le déiste, contrairement à l’affirmation finale de Michel Onfray. En effet, le déiste affirme un dieu qui ne s’engage pas dans la vie des humains, et donc le problème du mal ne le touche pas du tout, ce qui veut dire que l’athéisme ne s’ensuivrait pas, même si le problème du mal était un argument valable ; il nous resterait encore à décider entre déisme et athéisme.
En résumé, le problème du mal repose sur deux prémisses rejetables par les chrétiens, et n’établit pas même l’athéisme.
Mais ce n’est pas tout, non-seulement le problème du mal ne réfute pas le théisme, mais il est en fait un problème pour l’athéisme. En effet, l’existence objective du mal ne réfute pas l’existence de Dieu, elle la démontre !
Plus d’explications sur cet argument moral pour l’existence de Dieu dans la prochaine partie.
Guillaume Bignon, M.S., M.A., Ph.D. Théologie Philosophique
Peut-être que si Dieu tolère un mal fini pour un temps fini, c’ est parce que ce mal est « peanuts » comparé à la punition éternelle ( infinie) de l’ enfer .
Si Dieu a voulu nous éviter l’ enfer éternel grâce au sacrifice INFINI de Jésus, sans nous éviter des peines terrestres ‘ finies) , ce n’ est donc pas par hasard.
Vous avez dit: «Dieu, même s’il est omnipotent et absolument bon, pourrait très bien avoir de bonnes raisons pour permettre le mal dans le monde. La cohérence de ce concept est démontrée à chaque fois que l’on souffre chez le dentiste ou que l’on laisse nos enfants faire des bêtises dans l’espoir qu’ils tirent les dures leçons de la vie : du bien peut sortir du mal.»
La métaphore ne tient pas, car ce n’est pas le dentiste qui a cassé vos dents pour ensuite les réparer et se faire payer. Dieu a choisi de péter vos dents et ensuite il faut aller le voir pour qu’il nous donne le remède à la maladie qu’il a lui-même inventé (le péché). Un tel dentiste serait un psychopathe vorace.
Il est logiquement possible qu’un Dieu tout puissant et tout bon ne puisse pas enlever le mal (ou simplement le réduire), mais cela est impossible à savoir, humainement parlant.
«Et bien entendu, pour le chrétien, l’événement central de sa foi, la crucifixion de Jésus est exactement cela : un événement rempli de mal vicieux (le meurtre de Jésus), permis (et même prédestiné, selon la Bible en Actes 2 et 4) pour accomplir un objectif juste et bon : le salut des pécheurs.»
Pourquoi sommes-nous pécheurs? À cause d’Ève? Je ne crois pas que nous soyons des pécheurs, il n’y a pas d’évidences valide à cet effet. De plus, l’histoire d’Adam et d’Ève est fort probablement fausse, voir inventée.
Donc, en résumé, Dieu décide de créer des êtres qui – il le sait d’avance – deviendront pécheur (il a donc choisi qu’ils deviendront pécheur) et il a décidé de faire souffrir son fils (Jésus) pour se pardonner lui-même d’avoir créer l’homme pécheur et recevoir l’amour de sa création…
C’est très loin de justifier la souffrance.
«le problème du mal repose sur deux prémisses rejetables par les chrétiens, et n’établit pas même l’athéisme.»
Que voulez-vous dire? Le problème du mal n’est pas une preuve de l’athéisme, c’est une évidence excessivement forte qu’un être tout-puissant et tout-bon n’existe pas. La possibilité d’un dieu tout-puissant et méchant est beaucoup plus réelle qu’un Dieu tout-bon, car cela concorde avec les évidences : il est très difficile de penser à ce que serait un univers plus agressif envers la vie. N’oublions pas que le principe premier est la compétition… et la coopération n’est qu’une meilleure façon de compétitionner avec les autres (voilà pk la moralité existe).
Bonne soirée!
Marc-Olivier
Ma contention au sujet du dentiste n’est pas une métaphore. Ce n’est pas un argument par analogie. C’est tout simplement une preuve qu’il est logiquement possible d’avoir des raisons moralement suffisantes pour causer ou permettre du mal. Cette contention modeste me semble indisputable.
Ensuite, vous énoncez votre scepticisme vis-à-vis des doctrines chrétiennes au sujet de la nature humaine, Adam et Eve, la mort de Jésus, etc… Grand bien vous fasse, mais le but n’est pas ici de vous convaincre que ces doctrines soient vraies. Le but est de défendre la cohérence interne du système de croyances chrétiennes contre l’argument positif du problème du mal. Et donc il est dialectiquement tout à fait normal que le chrétien fasse appel à ses autres croyances pour expliquer comment le problème du mal n’est pas un conflit logique interne à son système. Même si vous pensez le système faux (chose qui ne serait pas surprenante, un athée qui affirmerait la vérité du christianisme aurait à son tour quelques soucis de cohérence dans ses affirmations), le simple fait que l’existence du mal soit réconciliée de manière interne cohérente établit le fait que le problème du mal est un échec dans son projet de réfutation de l’existence de Dieu.
«le simple fait que l’existence du mal soit réconciliée de manière interne cohérente établit le fait que le problème du mal est un échec dans son projet de réfutation de l’existence de Dieu.»
Cette explication est logique, mais je ne trouve pas que l’explication soit cohérente. Si j’étais un chrétien et qu’on me donnait cette explication, je serais complètement déçu, car elle ne règle pas du tout la question du mal, elle ne fait que la mettre en suspend : « pt que Dieu a de bonnes raisons ». Dire que cette raison tient dans l’existence du péché et du sauveur (Jésus)… ne vient pas justifier pourquoi il nous a fait pécheur!
Il a choisi de faire de nous des petits démons, et ensuite il nous rend responsable de sa création. On paye le prix de ses gestes. Avec ou sans péché, il est quand même responsable moralement et causalement.
Bonne soirée!
Marc-Olivier
« Dire que cette raison tient dans l’existence du péché et du sauveur (Jésus)… ne vient pas justifier pourquoi il nous a fait pécheur! »
La critique de la pensée chrétienne doit se faire à partir de ce qu’elle affirme. En aucun cas elle n’affirme que Dieu a créé l’homme pécheur. Les premiers chapitres de la Genèse proposent au contraire une création de l’humanité en l’état d’innocence, qui est ensuite inscrite dans une relation d’Alliance avec Dieu (ce qui implique une responsabilité morale, donc la possibilité d’un choix). L’humanité transgresse le commandement, si bien qu’il s’introduit une discontinuité entre l’état d’origine de l’humanité et son état actuel d’humanité en conflit avec son Créateur.
À corriger dans le texte :
que l’on laisse nos enfants faire des bêtises dans l’espoir qu’ils tirent les dures leçons de la vie : du bien peut sortir du mal.
« du mal peut sortir du bien »