Dans les parties précédentes de cette critique, nous remarquions que Michel Onfray niait l’existence de débats académiques sérieux sur les arguments logiques concernant l’existence de Dieu. Ils ont lieu à grande échelle dans la littérature académique, sont vivement encouragés par les philosophes chrétiens de calibre, et Onfray niait leur existence. Sur le sujet vers lequel on se tourne maintenant, l’existence de Jésus de Nazareth, Michel Onfray fait le contraire : il n’y a pas de controverse agitée dans les milieux académiques sur la question, et Michel Onfray en invente une. Il revendique la thèse « mythiste », plus populaire sur l’internet que dans les presses académiques, qui affirme que Jésus de Nazareth n’a jamais existé, et que les documents historiques relatant son existence sont des documents mythologiques fictionnels, semblables aux mythes païens relatant les histoires de « l’Ulysse d’Homère, l’Apollonios de Tyane de Philostrate, ou l’Encolpe de Pétrone . . . héros de péplum ». (p.164)
Onfray n’offre pas vraiment d’argument en faveur de cette thèse, mais il déclare que la question de l’existence de Jésus est un « débat impossible », et procède ainsi (p.158) : « laissons aux amateurs de débats impossibles à conclure la question de l’existence de Jésus et attelons-nous à celles qui importent : qu’en est-il de cette construction nommée Jésus ? pour quoi faire ? dans quels desseins ? afin de servir quels intérêts ? qui crée cette fiction ? de quelle manière ce mythe prend-il corps ? comment évolue cette fable dans les siècles qui suivent ? » En bref, Onfray nous dit vouloir sauter le débat car il est impossible, présuppose que sa position est correcte, et ensuite spécule sur les intentions des supposés inventeurs de Jésus. Il n’y a pas grand-chose que je puisse réfuter ici !
Quelques phrases tentent cependant de soutenir la thèse, alors passons-les en revue. Il nous dit (p.157) « L’existence de Jésus n’est aucunement avérée historiquement. Aucun document contemporain de l’événement, aucune preuve archéologique, rien de certain ne permet de conclure aujourd’hui à la vérité d’une présence effective. » Le problème avec cet argument, c’est que l’absence en question est la même pour un nombre incalculable de personnes historiques dont l’existence ne fait pas l’ombre d’un doute. Ces exigences ne sont pas raisonnables. Il n’y a aucune raison de penser que l’existence de Jésus rende probable que l’on ait des « preuves archéologiques ». Alors de manière plus raisonnable, qu’a-t-on au sujet de Jésus ? On a des documents historiques relatant son existence, écrits à des dates très proches de sa vie (bien qu’écrits quelques dizaines d’années après sa mort, et donc pas de son vivant ; mais il est rare de raconter historiquement la mort d’un individu avant sa mort !) avec du matériel provenant de différentes sources indépendantes, dans des écrits chrétiens, juifs, et païens.
Que fait Michel Onfray de tout ce matériel historique (d’une abondance rare pour une personne relativement obscure et si ancienne que Jésus de Nazareth) ? Il le rejette exhaustivement. Le matériel juif (Flavius Josèphe) et païen (Suétone, Tacite) est rejeté avec une accusation générale d’interpolation (p.159-160) : les chrétiens auraient soi-disant tout fabriqué, et inséré leur Jésus dans les manuscrits de ces historiens juifs et romains. Mais l’affirmation est bien trop rapide. A ma connaissance, aucun historien (athée ou pas) spécialisé sur ces auteurs n’admet un tel scepticisme radical. Il est généralement reconnu que le texte de Josèphe contient une interpolation partielle car il est improbable qu’un juif déclare que Jésus fût le Messie comme le fait ce texte ; mais les érudits spécialistes de Josèphe (non-chrétiens !) affirment essentiellement tous que le passage n’est pas complètement interpolé, et qu’au minimum il fait bien référence à Jésus de Nazareth et aux évènements que ce dernier a causés en Judée au premier siècle. Quant à Suétone et Tacite, l’accusation d’interpolation est entièrement injustifiée. Il n’y a aucune raison textuelle ou contextuelle de douter des passages, et il est même improbable de penser que des chrétiens auraient inséré ces textes qui sont insultants vis-à-vis de Jésus et de ses disciples.
Mais de toutes façons, nos sources historiques principales et certainement les plus fiables sur Jésus de Nazareth sont les documents chrétiens : les quatre biographies anciennes de Jésus qui ont été plus tard regroupées sous une même couverture sous les noms de Matthieu, Marc, Luc et Jean, ainsi que les épîtres de Paul, Pierre, Jean, Jacques, relatant les traditions chrétiennes anciennes au sujet de Jésus. Onfray les rejette d’un tour de main puisqu’écrits par les chrétiens à qui on ne peut apparemment pas faire confiance, mais même là, sa thèse à leur sujet semble incohérente. Il nous dit que toutes leurs histoires ne sont que des « fables », mais qu’ils les croient honnêtement : « La création de ce mythe est elle consciente chez les auteurs du Nouveau Testament ? Je ne le crois pas … Marc, Matthieu, Jean et Luc ne trompent pas sciemment . . . Aucun n’a rencontré physiquement Jésus. » (p.169) Le problème est que ces auteurs, dans leur texte, prétendent au contraire nous rapporter précisément un témoignage oculaire, le leur ou celui des disciples mêmes de Jésus. Matthieu et Jean sont des Apôtres, Luc et Marc sont leurs compagnons. Paul connaissait l’apôtre Pierre lui même, ainsi que Jacques (le frère de Jésus, lui-même un non-croyant jusqu’à ce que Jésus lui apparaisse en personne après sa résurrection). Étant donné que ces individus n’avaient rien à gagner, et tout à perdre en prêchant la résurrection de Jésus ; et que certains ont même perdu la vie pour cela, Onfray sent bien qu’il est improbable de dire qu’ils trompent sciemment, mais alors il n’est pas plus probable de dire qu’ils se trompent honnêtement sur un élément aussi fondamental que l’existence même de leur maître et Seigneur Jésus Christ ! Par ailleurs, s’ils copient soi-disant les mythes païens de l’époque pour créer un héros de péplum, comment pourraient-ils rester honnêtes dans leurs affirmations qu’il s’agit de la vérité historique sur les évènements relatés ? (cf. Luc 1) La thèse mythiste est aussi complètement improbable du fait que les juifs du premier siècle, fidèles à la Torah, haïssent le polythéisme de leurs voisins païens, et n’auraient jamais adopté leurs histoires idolâtres pour concocter leur version chrétienne à la sauce Jésus.
Onfray conclut que la question de l’existence de Jésus est tellement controversée que le débat fait rage « sans qu’aucune conclusion définitive n’apparaisse et n’emporte définitivement l’avis général » (p.160) A ce niveau, c’est de la désinformation : « l’avis général » ne fait aucun doute ; la presque totalité des érudits spécialistes publiés dans des revues académiques (incluant bien-sûr les athées et les ultra-libéraux, sceptiques radicaux) sur le sujet, maintiennent l’existence de Jésus. La position mythiste sceptique est tellement minoritaire que de l’appeler « marginale » est encore un euphémisme monumental. Même un polémiste tel que Bart Ehrman, critique textuel du Nouveau Testament, et auteur de nombreux livres attaquant tous les aspects imaginables du christianisme, s’est senti obligé d’écrire un livre pour défendre le fait que Jésus existait, et affirmer que la position mythiste est embarrassante. Alors évidemment, on ne détermine pas la vérité en comptant les têtes, mais le débat n’est clairement pas celui qu’Onfray nous dépeint.
Dans son attaque de la fiabilité des textes chrétiens, Michel Onfray avance alors quelques allégations d’erreurs historiques, mais elles trouvent toutes aisément des réponses. Il trouve improbable que Pilate, « un gouverneur haut de gamme de l’Empire romain » s’occupe de Jésus, mais c’est au contraire aisément explicable par le fait que Pilate cherche à éviter l’émeute qui se profile dans sa province lorsque les foules s’emparent de Jésus. Onfray nous dit que « Pilate ne peut être procurateur selon le terme des évangiles, mais préfet de Judée, car le titre de procurateur apparaît seulement vers 50 de notre ère » (p.172). C’est correct, sauf qu’aucun des évangiles n’appelle Pilate « procurateur » ! Il est appelé « gouverneur » en Mat. 27 :15, ἡγεμών (hégémon), ce qui est l’équivalent grec du latin praefectus. Onfray nous dit que Pilate n’était pas doux, mais cruel et cynique. Là encore, les évangiles ne le disent pas doux non plus, ils disent simplement qu’il objecte initialement aux demandes de crucifixion ; il n’est en effet pas disposé à se faire manipuler par les foules pour tuer Jésus sans preuves. Le portrait brutal de Pilate est par ailleurs donné par Luc lui-même dans une autre anecdote mentionnant un massacre (Luc 13 :1). Onfray trouve ensuite la crucifixion invraisemblable, car « à l’époque, on lapide les juifs, on ne les crucifie pas » ; c’est encore historiquement incorrect : les juifs étaient crucifiés à tout bout de champ dans l’antiquité, l’historien John Dickson dit même que c’était probablement le peuple le plus crucifié de l’histoire ancienne. Onfray continue : « la crucifixion suppose une mise en cause du pouvoir impérial, ce que le crucifié ne fait jamais explicitement » (p.173). Oui, Jésus ne le fait jamais ; en d’autres termes, il est innocent. Mais c’est l’accusation qui est portée contre lui, il est donc parfaitement logique que lorsqu’on le condamne (à tort !) ce soit le châtiment prévu pour ce chef d’accusation. Enfin, Onfray dit qu’après la crucifixion, une « mise en tombeau est exclue. Fictions… » Mais au contraire, il y a des exemples chez Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe de crucifiés mis en tombe.
En bref, l’analyse historique de Michel Onfray est irresponsable, et le chrétien qui fait confiance au témoignage historique des documents du Nouveau Testament est largement dans son droit, et intellectuellement justifié. Ces documents historiques sont tôt, multiplement attestés, concèdent parfois des faits embarrassants attestant de leur sincérité, une sincérité qui est en outre demandée par le témoignage des martyrs allant jusqu’à la mort en proclamant leur témoignage du Seigneur ressuscité : nul ne maintient jusqu’à la mort une proclamation dont on l’accuse, s’il sait qu’il s’agit d’une fable de son invention.
Alors évidemment, aucune des ces preuves historiques n’est entièrement irréfutable. Tout peut être nié avec un peu de mauvaise volonté, en élevant simplement le niveau de scepticisme mis en œuvre lors de l’étude de ces textes historiques ; mais la question se pose alors : ce scepticisme est-il justifié, et est-il appliqué sur toute la ligne par Michel Onfray au sujet d’autres personnes historiques d’antiquité? C’est à mon tour de douter.
Guillaume Bignon, M.S., M.A., Ph.D. Théologie Philosophique
Bon jour !
Etant français comme Michel Onfray, cela fait des années que je suis ses divagations … j’ ai même regardé, il y a + 10 ans, une émission TV intitulée ” Ainsi parle … Michel Onfray ” vers 6 heures du matin …
Depuis + 10 ans, il parle beaucoup mais JAMAIS dans UN DEBAT !
Dernièrement, dans des cours retransmis par France-Culture ( radio publique française) , il a publiquement critiqué l’ œuvre de Freud grâce à un parallèle constant avec ses lettres . Il ne critique donc pas vraiment sur le fond l’ aspect ( non ) scientifique de la psychanalyse freudienne, mais tous ses cours étaient des arguments ad hominem .
Enfin, il dit SAVOIR que Dieu n’ existe pas ; or cela relève de la croyance, et non du savoir …. croyance qui, comme incroyance, sont par définition sans preuve . Une existence se constate, plutôt qu’ elle ne se démontre .
Salutations en Christ !
Cher Olivier,
Cela ne me gêne pas qu’il critique Freud directement ou indirectement. Freud n’était pas un bon personnage.
Enfin qui est bon? Je dirais que Freud était plutôt un mauvais personnage.
Moi aussi je pensais qu’une croyance ne se démontrait pas mais se montrer. Cela dit je pense aussi qu’on peut la démontrer.
Lis ceci : http://www.associationaxiome.com/conflits-malplaces-des-methodologies-apologetique-chretienne/#comment-615
Concernant MO, de toute façon, je ne pense pas qu’il y ait de débat possible avec des gens niant l’historicité de Jésus. Soit il est ignorant soit il rejette des faits pour des raisons qui lui sont personnelles (un agenda, ou un dénis)
Que Dieu vous garde.
Bonjour,
Un lecteur m’a posé une question au sujet de ma réponse au manque de preuves archéologiques, lorsque je disais ci-dessus “Le problème avec cet argument, c’est que l’absence en question est la même pour un nombre incalculable de personnes historiques dont l’existence ne fait pas l’ombre d’un doute”. Le lecteur me demande si je peux fournir quelques noms.
A vrai dire, l’argument principal derrière ma phrase n’utilisait pas nécessairement de personne connue, retenue par l’histoire; c’était simplement la remarque que pour toutes les personnes (anonymes ou pas) ayant vécu à cette époque, le manque de preuve archéologiques n’est pas du tout un bonne raison de penser qu’ils n’ont pas existé, dans la mesure où on n’a de preuves archéologiques pour pratiquement personne. Pour que l’argument de Michel Onfray soit satisfaisant, il aurait fallu que deux choses soient vraies:
Prémisse 1 – Si Jésus avait existé, alors on devrait avoir des preuves archéologiques de son existence
Prémisse 2 – On n’a pas de preuve archéologique de son existence
Donc Jésus n’a pas existé.
Ma réponse était donc de réfuter la prémisse 1, en montrant le fait incontestable que si une personne a existé au premier siècle, il ne s’ensuit pas un instant qu’on devrait avoir de telles preuves archéologiques.
Mais pour répondre plus spécialement à la question qui m’est posée, je pense qu’il y a en effet quelques noms intéressants à considérer dans l’histoire; des personnes dont l’existence est attestée par des preuves comparables ou inférieures à celles que l’on a pour Jésus. N’étant pas un historien moi-même, j’ai posé la question à Gary Habermas et Mike Licona, qui m’ont suggéré les candidats suivants:
-Diogène Laërce (suggéré à Mike Licona par Tim McGrew), un Biographe daté quelque-part entre le 1er et le 4e siècle, dont on ne sait virtuellement rien d’autre, mais dont le travail est une source importante historique d’information sur des personnes d’antiquité. Il va de soi que l’on a largement moins de preuves pour Diogène que pour Jésus, et pourtant personne de nie l’existence de Diogène.
-Un professeur de classiques ami de Mike Licona lui a suggéré un certain nombre de personnalités romaines, telles que les Scipions, ainsi que des généraux et des consuls, bien que certains d’entre eux aient quand même quelques inscriptions en leur faveur (les Scipions). Le héros Caius Servilius Ahala, à qui l’on attribue en 439 av JC la tâche d’avoir déjoué un plan de Spurius Maelius, de se faire tyran de Rome. Une partie des informations sur Ahala est légendaire, mais l’existence de la personne ne fait pas de doute, et il est clair que les preuves de l’existence de Jésus sont largement supérieures.
-Gary Habermas suggère l’exemple d’Alexandre le Grand. Les deux meilleures sources pour Alexandre sont Plutarque et Arrien, qui écrivent tous deux plus de 400 ans après la mort d’Alexandre. Il avait quelques écrivains contemporains, mais à notre connaissance, leurs écrits ont été perdus. Parmi les écrits que l’on a, Diodore, Strabon, Curce, Arrien et Plutarque, le plus tôt a été écrit un peu moins de 300 ans après la mort d’Alexandre, et les deux derniers (les meilleurs), datent aux alentours de 425-450 ans après sa mort.
En bref, les sources historiques attestant de Jésus sont particulièrement tôt, multiples, et indépendantes. C’est un calibre exceptionnel pour une personne d’antiquité, et nul ne peut nier son existence sans lever un niveau de scepticisme tel qu’il lui faille rejeter l’existence d’une foule de personnes d’antiquité, un pas qui reste intellectuellement coûteux à franchir.