<<< Partie 8

Si aucune critique moderne de la religion n’est complète sans l’allégation usuelle qu’un  soi-disant conflit ouvert existe entre la religion et la science, le traité d’athéologie de Michel Onfray ne fait pas défaut à la règle. Il nous dit, (p.122) qu’ « En matière de science, l’Église se trompe sur tout depuis toujours : en présence d’une vérité épistémologique, elle persécute le découvreur », avec Galilée en « emblématique représentant de la haine de l’Église pour la science et du conflit entre Foi et Raison » (p.125).

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Il ajoute (en p.135) que « Les monothéismes n’aiment pas l’intelligence, les livres, le savoir, la science ». Je note en passant que si les croyants monothéistes sont tels que Michel Onfray nous l’annonçait, des mineurs mentaux, leur dédain de l’intelligence et de la science n’est pas particulièrement surprenant, mais ne revenons pas sur le sujet des insultes personnelles généralisées, et voyons plutôt exactement quelles thèses (scientifiques ou métaphysiques) sont supposées être en conflit avec la religion.

Michel Onfray mentionne les découvertes des grecs, disant que la religion les condamne universellement : « Tourner le dos aux acquis de ces recherches, agir comme si ces trouvailles n’avaient jamais eu lieu, reprendre les choses à zéro, c’est pour le moins stagner, entrer dans un dangereux immobilisme ; pour le pire, pendant que d’autres avancent, reculer à vive allure et se diriger aveuglément vers les ténèbres dont, par essence et par définition, toute civilisation essaie de s’affranchir pour être. Le refus des Lumières caractérise les religions monothéistes : elles chérissent les nuits mentales utiles pour entretenir leurs fables. » (p.121-122) L’accusation est claire : il s’agit d’un obscurantisme obstiné qui refuse d’accepter l’évidence des découvertes scientifiques, anciennes et/ou modernes. Voyons donc quelles preuves Onfray fournit pour étayer cette affirmation.

Il commence par une section importante sur le « matérialisme », dans laquelle il affirme que « l’une des lignes de force de ce tropisme anti-science » est la « condamnation constante et acharnée des hypothèses matérialistes » (p.122). Je n’ai aucune idée de ce qu’il entend par « constante et acharnée », mais oui, le théiste par définition rejette le matérialisme. Le matérialisme est la thèse qui dit que la matière est la seule chose qui existe. Comme Dieu n’est pas fait de matière (Il est immatériel), le théiste, lorsqu’il affirme l’existence de Dieu, s’engage logiquement à dire qu’il existe au moins une entité réelle au delà du monde matériel. La grande majorité des théistes affirment aussi que les personnes humaines ne sont pas que matérielles : elles ont un corps matériel, mais leur âme, ou esprit, locus de leur conscience, est un composant immatériel. Cette thèse, appelée « dualisme », requiert donc aussi un rejet du matérialisme. Jusque là, tout va bien. Le problème est que la section sur le sujet dans le traité d’athéologie est intitulée « Le déni de la matière ». Onfray confond le déni du matérialisme et le déni de la matière. Il comprend bien que l’existence de Dieu ou de l’âme requiert un rejet du matérialisme, car « si tout est composé de matière, l’âme, l’esprit, les dieux le sont aussi » (p.123), mais il ajoute l’affirmation absurde que les monothéismes ont « une forte détestation pour la matière et le réel, donc toute forme d’immanence » (p.135). N’importe quoi. Bien sûr que les chrétiens affirment la matière. Leur affirmation que quelque chose d’autre existe aussi, ne veut évidemment pas dire qu’ils refusent le fait que la matière existe !

Ceci étant, quelles raisons Michel Onfray nous donne-t-il en favmatiereeur du matérialisme ? Il dit que « L’agencement de ces atomes rend compte de la constitution de toute matière, donc du monde » (p. 123). Ce « donc » est injustifié, c’est une pétition de principe, ou raisonnement circulaire. Il présuppose ce qui doit être démontré, à savoir que le monde se réduit à la matière. Il continue : « le matérialisme constitue la bête noire du christianisme depuis les origines. L’Église ne recule devant rien pour discréditer cette philosophie cohérente qui rend absolument compte de tout le réel » (p.123). Encore une fois, la prétendue capacité du matérialisme à rendre absolument compte de tout le réel n’est qu’une affirmation insupportée. Onfray nous dit que le matérialisme est une philosophie « cohérente ». Le problème est que la cohérence n’implique pas la vérité. Les affirmations « Je suis un adulte américain » et « j’ai le droit de voter aux États-Unis » sont cohérentes, mais elles sont toutes deux fausses : je suis français, je n’ai pas le droit de voter aux États-Unis. Lorsqu’Onfray nous dit que l’Église ne « recule devant rien » pour discréditer le matérialisme, je ne sais pas forcément à quoi il fait référence, mais pour ma part, pour discréditer la thèse, j’offre des arguments. J’ai déjà défendu dans cette critique l’argument moral pour l’existence de Dieu, l’argument évolutionnaire de Plantinga contre le naturalisme, certains autres arguments classiques ont été mentionnés tels que l’argument cosmologique, l’argument ontologique, ou les cinq voies de Thomas d’Aquin ; si ne serait-ce qu’un seul de ces arguments est valable, il s’ensuit logiquement que le matérialisme est faux.

Michel Onfray semble penser qu’une des raisons principales de la réjection chrétienne du matérialisme est que cette thèse exclut la transsubstantiation (p.126-129). Personnellement, j’ai déjà affirmé dans une partie précédente que cette doctrine n’était ni chrétienne ni biblique, ce n’est donc pas ma motivation à moi, alors je passe sur la question, et je profite plutôt de l’occasion pour offrir un argument supplémentaire en réfutation du matérialisme, basé sur la loi logique de la non-distinguabilité des identiques. fingerprintCette loi de logique toute simple dit que si deux choses sont identiques, alors toutes les propriétés de l’une sont des propriétés de l’autre. Exemple, « le mari de Katherine Bignon » et « l’auteur de cette critique » sont identiques, et donc tout ce qui est vrai de l’un est vrai de l’autre : le mari de Katherine Bignon s’appelle Guillaume, l’auteur de cette revue s’appelle Guillaume. Le mari de Katherine Bignon mesure 1m94, l’auteur de cette revue mesure 1m94, etc… et si l’on trouvait une seule chose vraie au sujet du mari de Katherine Bignon qui n’est pas vraie au sujet de l’auteur de cette revue, il s’ensuivrait logiquement que ces deux ci ne sont en fait pas identiques après tout. Rien de cela n’est sérieusement disputable. Appliquons alors le principe à la personne humaine : le matérialiste affirme qu’une personne, comme toute autre chose selon lui, est uniquement matérielle ; la personne doit donc être identique avec son corps physique. Le problème c’est qu’il y a un bon nombre de propriétés de la personne qui ne sont pas partagées avec son corps physique : l’intentionnalité, la subjectivité, les émotions, sont toutes des propriétés de la personne, mais ne sont pas des propriétés du corps physique. Quand je suis joyeux, c’est moi qui suis joyeux, ce n’est pas mon cerveau qui est joyeux. Quand je pense à Paris qui me manque, je pense à ce sujet, mais mon cerveau n’a pas cette intentionnalité : un morceau de matière ne peut pas être « au sujet » d’un autre morceau de matière. De même, j’ai conscience d’exister et d’être conscient, ce n’est pas mon corps qui a conscience d’exister. Toutes ces propriétés de la personne qui ne sont pas des propriétés du corps démontrent qu’une personne n’est pas identique à son corps, et donc que le matérialisme est faux. Il ne rend pas compte de tout le réel (indépendamment de l’existence de Dieu).

Michel Onfray discute enfin des conséquences de la question. Quelle différence cela fait-il que le  matérialisme soit vrai ou faux ? De manière surprenante, il dit que la négation du matérialisme mène au désespoir : « L’espoir d’un au-delà, l’aspiration à un arrière-monde génèrent immanquablement le désespoir ici et maintenant » (p.136-137). Mais bien au contraire, le fait que ce monde ne soit pas la fin de toute chose est une condition nécessaire pour justifier l’espoir ultime. titanicAucun chrétien digne du nom ne se dit « j’ai une autre vie dans le futur hors de ce monde, alors je peux gâcher celui-ci ». Au contraire, la vie après la mort, par définition, fournit au chrétien l’espoir que ses actions dans ce monde auront un impact éternel. Alors évidemment, en aucun cas l’espoir chrétien ne démontre par lui seul qu’un autre monde existe bien, mais l’allégation que le rejet du matérialisme mène au désespoir est démontrablement fausse. Au contraire, le désespoir provient du matérialisme et de la mort. Elle est inévitable, il n’y a aucun espoir d’y échapper. Et si la mort est la fin de toutes choses, c’est le grand effaceur qui empêche la vie humaine d’avoir un sens objectif. Quelle différence entre une voie ou une autre dans ce monde s’il est voué à la destruction ? Tout ce qu’on fait alors est semblable à la personne qui réorganise les chaises sur le pont du Titanic. Le projet est futile, car le navire est en train de couler et tout va relativement bientôt être annulé, annihilé.

En conclusion et pour résumer, le matérialisme qu’Onfray suggère être une bonne raison de rejeter le théisme s’avère être : 1-présupposé et non prouvé, 2-réfuté par tous les arguments théistes offerts ou mentionnés jusqu’ici, 3-réfuté par l’existence de l’âme supportée par l’argument sur la non-distinguabilité des identiques, et 4-incompatible avec tout espoir ultime, du fait qu’il exclue la possibilité que nos actions aient des répercutions au delà de nos courtes vies sur cette terre. En bref, le matérialisme n’est effectivement pas une option pour le chrétien, mais ce n’est donc clairement pas une grosse perte, intellectuelle ou existentielle.

Dans la partie suivante, nous regarderons les thèses scientifiques plus précises que Michel Onfray pense être établies par la science moderne et incompatibles avec le christianisme.

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