Comment peut-on réconcilier un Dieu d’amour avec l’idée qu’il décrète que certaines personnes (voire-même un grand nombre d’entre elles) périssent au final?

Cette question est probablement l’une des plus difficiles adressées aux partisans de la théologie réformée, dite calviniste, selon laquelle la providence divine est telle que Dieu décrète souverainement et de manière unilatérale tout ce qui se passe dans le monde. Elle mérite donc une bonne réflexion de la part des théologiens et philosophes calvinistes.

L’amour et la volonté divine

La question soulève le souci qu’il pourrait y avoir une incompatibilité entre la doctrine calviniste de la réprobation, et un certain attribut de Dieu, à savoir le fait (sans aucun doute biblique), que Dieu est amour. Lorsque la question est énoncée sous la forme d’un argument, on voit qu’il s’agit en fait d’un cas particulier de l’argument du mal, formulé par le syllogisme suivant, que j’appellerai « miséricorde pour tous »:

-Prémisse 1: Si Dieu est amour, alors il désirera de manière maximale, empêcher la condamnation (éternelle) de toute personne,

et

-Prémisse 2: Si le Calvinisme est vrai, (c’est à dire que les humains n’ont pas un libre arbitre tel que Dieu ne puisse pas déterminer l’issue de leurs choix), alors Dieu pourrait faire en sorte que tous les humains se repentissent librement et croient.

Ainsi, étant donné que Dieu est amour, il s’ensuit que tous les humains devraient se repentir librement et croire. Mais en réalité pas tous les humains ne se repentissent librement et ne croient, donc l’une de nos prémisses doit céder.

La réponse des arminiens est bien sûr de rejeter l’antécédent de la prémisse 2 et son affirmation que le calvinisme est vrai: ils répondent plutôt que Dieu ne sauve pas tout le monde, parce que Dieu ne peut pas sauver tout le monde, en vertu du fait que les humains aient un libre arbitre libertarian.

Dans le camp opposé, la réponse des calvinistes est plutôt de rejeter la première prémisse, à savoir l’affirmation que si Dieu est amour, alors il désirera de manière maximale empêcher la condamnation (éternelle) de toute personne.

Tout d’abord, remarquez bien le qualificatif « de manière maximale » dans cette prémisse. Pour que l’argument fonctionne, il ne suffit pas que Dieu soit enclin dans une certaine mesure envers le salut de tous–une thèse affirmée par de nombreux calvinistes, moi inclus, (ce qui, je me permets d’ajouter, rend l’utilisation de 1 Tim. 2:4 par les arminiens impertinente dans ce débat)–mais plutôt, pour que l’argument « miséricorde pour tous » fonctionne, il faut que le salut de tous les pécheurs soit, dans tous les cas, ce que Dieu désire de manière maximale. C’est uniquement cette thèse que les calvinistes rejettent. Les calvinistes sont tout à fait d’accord que l’attribut de l’amour divin incline Dieu dans le sens de la miséricorde dans une mesure certaine (après tout, selon eux, Il élit gratuitement pour le salut, des pécheurs qui ne le méritent pas le moins du monde!), mais ils maintiennent juste que son amour n’implique pas que le salut soit toujours ce qu’il désire de manière maximale dans tous les cas. Et en ce sens, gardez à l’esprit que techniquement, les arminiens eux-aussi, affirment que la volonté divine maximale n’est pas de sauver tous les pécheurs dans tous les cas: selon eux, au final, Il condamne bel et bien un grand nombre d’entre eux. Oui, il s’agit de ceux qui le rejettent librement en utilisant leur libre arbitre libertarian, mais il n’en reste pas moins que Dieu désire leur donner un libre arbitre libertarien, plus qu’Il ne désire sauver tout le monde. Et de manière intéressante, c’est précisément ce que les arminiens répondraient aux universalistes qui emploient l’amour divin dans des arguments contre eux, en disant que si Dieu aimait vraiment tout le monde, alors il sauverait simplement tout le monde, qu’ils aient la foi chrétienne ou pas. Lorsqu’ils ne sont pas universalistes, les calvinistes et les arminiens répondent d’une seule voix: « Dieu est amour, mais il ne s’ensuit pas qu’il doive pardonner tous les pécheurs au détriment de toute autre chose ». Les arminiens disent qu’Il met plus de valeur dans le libre arbitre libertarien, et les calvinistes doivent dire qu’Il a plutôt d’autres raisons.

Justice et théisme sceptique

Que peut-on alors dire au sujet de ces « autre raisons »? D’abord, les calvinistes disent que l’amour divin incline Dieu vers le salut, mais ils maintiennent que Dieu a d’autres attributs qui rentrent en jeu également dans la décision du jugement éternel d’un individu donné. En particulier, ils disent que Dieu est juste, saint, droit, en colère contre le péché, etc… tous des attributs incontestablement bibliques, bien sûr–ce n’est pas à ce niveau que se trouve la controverse. Mais ainsi, les calvinistes maintiennent que pour un pécheur donné, Dieu a la liberté d’exercer son amour pour le sauver, ou sa justice pour le condamner. Un pécheur reçoit la miséricorde, un autre reçoit la justice, et tous deux sont cohérents avec le caractère de Dieu.

À la lumière de ces faits, les calvinistes pourraient même offrir un contre-argument réfutant l’argument « miséricorde pour tous », sous la forme d’un reductio ad absurdum, se basant sur l’attribut de la justice divine. Ils pourraient dire qu’il existe un argument pertinemment similaire (et également incorrect), se basant sur la justice et la droiture divines, supportant la conclusion qu’aucun pécheur ne sera jamais sauvé. Il prendrait la forme suivante, l’argument « et la justice pour tous »:

-Prémisse 1: Si Dieu est juste, alors il désirera de manière maximale, condamner tous les coupables

-Prémisse 2: Dieu sera le juge qui siègera au jugement final de tous les pécheurs coupables

Par conséquent, tous les pécheurs seront condamnés. Bien sûr, cet argument est incorrect, étant donné que la prémisse 1 est fausse, mais il a pour but de souligner l’erreur de l’argument « miséricorde pour tous »: on ne peut pas prendre un attribut de Dieu en isolation de tous les autres, et spéculer sur ce que Dieu ferait sur la base de cet attribut seulement.

Cela étant dit, je pense que les arminiens pourraient offrir une réponse plutôt honorable et maintenir l’argument « miséricorde pour tous », tout en rejetant de manière cohérente l’argument « et justice pour tous ». Ils pourraient dire que lorsque Dieu pardonne les pécheurs, sa justice n’est en fait pas compromise du tout, puisque même si le pécheur qui reçoit la miséricorde n’est pas condamné pour ses péchés, la justice est quand même exercée dans la mesure où Jésus reçoit leur punition sur la croix. Cette réponse est tout à fait acceptable, et si les arminiens prennent cette position, je pense que les calvinistes auront beaucoup de mal à réfuter l’argument « miséricorde pour tous », sur la seule base de l’argument « et justice pour tous », mais voila le problème: le fardeau de la preuve n’est pas sur les épaules des calvinistes. Ils n’ont pas besoin de démontrer que l’argument « miséricorde pour tous » est incorrect, ils ont simplement besoin de défendre la cohérence de leur réjection de sa première prémisse. Pour cela, ils n’ont ainsi pas besoin de fournir la raison (ou les raisons) qui incline(nt) Dieu vers la justice plutôt que la miséricorde pour un pécheur donné. Les calvinistes peuvent (et je pense qu’ils devraient) offrir dans une certaine mesure la réponse appelée « théisme sceptique », qui dit ceci: « Dieu a des raisons moralement suffisantes pour ce choix qu’Il fait, et même si je ne suis pas personnellement capable de vous donner ces raisons, il ne s’ensuit pas un instant que ces raisons suffisantes n’existent pas ».

« Et que dire si Dieu…? »

A vrai dire, lorsque Dieu en arrive à nous donner un certain niveau d’explication dans Rom ains 9, son explication se trouve être fondée précisément sur la démonstration des attributs divins de la justice et la puissance, tel que je l’ai suggéré ci-dessus. Dans ce fameux chapitre, Paul anticipe que certains vont objecter à ses enseignements difficiles sur le choix divin souverain de l’élection, et il répond comme ceci: « Ainsi, il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. Tu me diras: Pourquoi blâme-t-il encore? Car qui est-ce qui résiste à sa volonté? O homme, toi plutôt, qui es-tu pour contester avec Dieu? Le vase d’argile dira-t-il à celui qui l’a formé: Pourquoi m’as-tu fait ainsi? Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire avec la même masse un vase d’honneur et un vase d’un usage vil? Et que dire, si Dieu, voulant montrer sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec une grande patience des vases de colère formés pour la perdition, et s’il a voulu faire connaître la richesse de sa gloire envers des vases de miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire? »

Cela semble assez clairement enseigner que la colère de Dieu contre les vases préparés pour la destruction, le glorifient dans une certaine mesure, et amplifie sa miséricorde pour ceux qu’Il a préparés d’avance pour la gloire. Ce que je trouve fascinant, cependant, c’est que même Paul formule sa réponse avec un « et que dire? » Sa formulation attentive est plus modeste que de dire « voici la seule et unique réponse, entièrement satisfaisante à cette objection, ou encore voici la raison pour la réprobation. Au contraire, il semble lui-même employer la réponse du « théisme sceptique » dans une certaine mesure. Il semble offrir une défense, plutôt qu’une théodicée complète. Il dit: « vous objectez à cette doctrine, vous prenez sur vous ce lourd fardeau de la preuve, mais « que dire », si ceci et cela étaient le cas? Si « ceci et cela » étaient le cas, l’objection échouerait dans son but d’établir qu’il y a une incohérence dans les enseignements de Paul, et les calvinistes n’ont pas même besoin de s’engager sur le fait que la démonstration de la justice de Dieu soit la seule raison pour laquelle il abandonne les réprouvés dans leur péché. Ainsi, bien que je pense que la réponse de Paul offre en effet un point de départ solide pour une explication fondée sur la démonstration des attributs divins, il est aussi tout à fait acceptable de dire « je ne connais pas complètement les raisons dont Dieu dispose, mais j’ai de bonnes raisons indépendantes de penser d’un côté que Dieu est amour, et d’un autre côté qu’il élit certains et pas d’autres, et donc je vais juste avoir confiance en le fait que ces deux enseignements sont en harmonie l’un avec l’autre ». Après tout, la meilleure façon de démontrer que deux propositions sont compatibles, est de montrer que ces deux propositions sont vraies! La Bible enseigne que Dieu est amour, et la Bible enseigne que Dieu nous a choisis avant la fondation du monde (Eph. 1), prédestine, justifie, sanctifie et glorifie tous ceux qu’Il appelle (Rom. 8), montre sa miséricorde à ceux qu’Il veut et endurcit ceux qu’Il veut, ne dépendant ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais uniquement de sa miséricorde (Rom. 9),etc. Ainsi, bien que j’espère que ma discussion ci-dessus ait offert un peu plus en terme d’explication, je ne pense pas qu’il soit inapproprié de dire « je crois que Dieu a révélé ces choses, et même s’il me manque une explication complète de comment elles s’harmonisent les unes avec les autres, je vais placer ma confiance dans le fait qu’Il est Saint et droit, et que lorsque le jour du jugement sera venu, « celui qui juge toute la terre n’exercera-t-il pas la justice? »

Cela me semble bien être une idée biblique à affirmer ou à chanter: notre Dieu est un sauveur puissant, et son amour dure pour toujours.